Vous avez plus de pouvoir sur le climat que vous ne le pensez
Et encore plus si Trump décide de reprendre les forages énergétiques.
À l’heure où Trump signe des décrets pour relancer les forages pétroliers, revient dans l’air une idée qui achève de nous décourager. On l’entend qui résonne ici et là :
“À quoi bon réduire nos émissions ? En France on pèse pour moins de 2% des émissions mondiales !”
“Bon ok, je prends l’avion une fois. Et après ? C’est peanuts.”
“Tant que les autres n’agissent pas, je ne vois pas à quoi ça sert qu’on réduise nos émissions.”
Cette idée est la suivante : “pour résoudre le problème du réchauffement climatique, il faut qu’on s’y mette tous sinon ça ne sert à rien”.
Pourtant, la physique du climat nous dit littéralement le contraire : climatiquement parlant, toute réduction d’émissions de gaz à effet de serre est directement utile et bénéfique face au réchauffement climatique, et c’est même d’autant plus vrai que Trump relance les forages énergétiques.
J’ai écrit ce premier numéro pour vous expliquer ça en détail.
En bref
1. nous avons un impact direct sur le thermomètre mondial, indépendamment de ce que font les autres
2. quantitativement, chaque baisse d’1 tonne d’émissions sauve en moyenne 6h de vies humaines, 4000 litres de glacier et 5 m2 de forêts, a minima
3. concrétiser les impacts de nos réductions d’émissions est un moteur d’action individuelle et collective, et c’est prouvé !
Lecture : 10min
1. Nous pouvons agir sur le climat indépendamment de ce que font les autres
Lorsqu’on dit “il faut qu’on s’y mette tous sinon ça ne sert à rien”, on formule les choses de façon binaire : il faut que tous agissent pour que le problème soit résolu.
Est-ce une mauvaise idée a priori de raisonner de façon binaire ? Pas forcément. Il y a beaucoup de problèmes qui se résolvent uniquement de façon binaire :
pour débarrasser votre appartement des punaises de lit, il faut que toutes les pièces soient traitées, sinon vous risquez de passer à côté d’une zone infestée et les punaises reviendront
même chose pour guérir du cancer, il vous faut tuer toutes les cellules cancéreuses du corps, sans quoi c’est la rechute
même chose pour réviser un traité européen, il faut un vote unanime des pays membres.
Pour des raisons biologiques (punaises, cancer) ou institutionnelles (règle de vote européennes), ces exemples ont en commun qu’il faut un consensus ou une action intégrale pour effectivement gagner quoi que ce soit au problème initial.
Le problème physique du réchauffement climatique s’apparente-t-il à ces situations de consensus nécessaire ? Physiquement, non.
C’est ce que montre un des graphiques semi-cryptés du dernier rapport du GIEC. Pour saisir ce graphique, il est utile de se souvenir de la métaphore de la couette atmosphérique, qui permet de comprendre l’effet de serre et qui est illustrée ci-dessous (si vous ne maitrisez pas encore cette métaphore, je vous recommande de prendre 1min pour lire la note de bas de page1 ).
Le CO2 a la particularité, une fois “émis”, de rester très durablement dans l’atmosphère : entre 100 et 1000 ans en moyenne. Flottent donc au-dessus de nos têtes la plupart des molécules libérées par mon arrière-arrière-grand-père Patrocle, quand celui-ci brûlait son charbon quelque part dans l’Allier ! Les molécules que j’émets à mon tour en roulant au pétrole aujourd’hui viennent s’ajouter à ce stock historique cumulé. Ce serait presque une histoire poétique si ça ne mettait pas toutes nos vies en danger.
Qu’arrive-t-il à la température sur Terre quand la quantité cumulée de CO2 émis augmente ? C’est ce qu’on lit sur le graphique ci-dessous : actuellement, la température (axe vertical) augmente quasiment linéairement avec le nombre de molécules de CO2 qui s’accumulent dans l’atmosphère (axe horizontal).
Autrement dit, dès qu’on ajoute un peu de plumes, le thermomètre augmente un peu. Si on en ajoute beaucoup, le thermomètre augmente beaucoup. Et si demain on n’en ajoutait plus, le thermomètre ne bougerait… plus !
2. On peut quantifier les conséquences concrètes d’une baisse d’émission
Essayons de quantifier tout ça dans des exemples.
À l’échelle individuelle : Si je prends demain l’avion pour faire un aller retour de Paris à New York, la combustion du kérosène dans le moteur va émettre environ l’équivalent d’une tonne de gaz à effet de serre par passager. Ces gaz s’ajouteront dans l’atmosphère et la température sur Terre va augmenter de quelques millièmes de milliardièmes de degrés.
À l’échelle collective : les émissions territoriales françaises pèsent pour environ 1% des émissions mondiales. Si on réduit celles-ci de 50% d’ici 2035 (comme proposé par le Secrétariat Général à la Planification Écologique), cela fera baisser le thermomètre mondial de quelques millièmes de degrés.
Quelques millièmes de degrés ne paraissent pas lourds, mais cela dépend de ce qu’il y a derrière.
Dans sa thèse, l’économiste Christoph Semken a voulu transcrire ces millièmes de degrés en grandeurs plus intelligibles pour notre cerveau humain. En croisant différentes études d’impact, il obtient le résultat suivant : émettre 1 tonne de CO2 revient à faire fondre 4000 litres de glacier, détruire 5 m2 d’écosystèmes végétaux et priver un enfant qui naît aujourd’hui de 6 heures d’espérance de vie [voir le papier complet ici].
Si on trouve par exemple le moyen de remplacer les excursions à New York en avion par des voyages en Eurostar ou en transibérien, la tonne de CO2 qui ne viendra pas s’ajouter dans l’atmosphère correspondra littéralement à des vies humaines et non-humaines prolongées, et des bouts de forêts et de glacier épargnés.
La liste des impacts concrets ne s’arrête pas là : selon les conclusions des climatologues, chaque micro-hausse du thermomètre augmente directement la fréquence et l’intensité d’événements extrêmes comme les canicules mortelles au Pakistan, les inondations (comme à Valence) ou les cyclones (comme à Mayotte). Chaque tonne de CO2 qu’on réussit à ne pas envoyer dans l’atmosphère correspond littéralement à moins d’eau dans les rues de Valence, moins de maisons détruites à Mayotte, et plus d’eau dans les champs du Sud-Ouest en été.
Bonus : Si Trump relance les forages pétroliers (“make America burn again”), l’impact concret de nos émissions sera encore plus grand. Pourquoi ? Parce que les dégâts associés à chaque hausse de la température moyenne empirent de façon exponentielle (comme les pièces qu’on retire d’une tour Jenga2). Les forages encouragés par la nouvelle administration américaine peuvent rapidement nous amener à une température moyenne telle que chaque tonne évitée vaudrait en moyenne 24h de vie et 100m2 d’écosystèmes vivants, ou plus encore.
3. Concrétiser tout ça renforce nos motivations à agir
Si Christoph Semken s’est démené pour obtenir ces grandeurs physiques plus tangibles que des tonnes de CO2, c’est qu’il a fait le même constat dans un sondage anonyme sur 2000 personnes que moi dans mes formations : bien qu’erronée, la représentation “binaire” du problème physique du climat est pour l’instant majoritaire.
La bonne nouvelle, c’est que corriger cette fausse croyance a un impact concret : lorsqu’il livre aux participants de son enquête les vrais chiffres sur l’impact linéaire de leurs réductions d’émissions, ceux-ci se déclarent plus motivés à agir et font davantage de dons (en vrais euros) à des mouvements engagés dans la transition.
Dans nos vies à nous, quelles conséquences peut avoir ce changement de représentation ?
à l’échelle individuelle, je peux utiliser le contenu de cette newsletter pour contrer les discours binaires démotivants qui m’entourent et avoir une base physique concrète pour rationaliser mes actions. Je peux me dire par exemple que le surcoût de mon dernier pull Patine en laine recyclé ou le casse-tête de mon Paris-Madrid en train, c’est quelques heures de vie pour une petite fille comme ma nièce Amalia, dans un monde où elle pourra voir la neige en montagne et des oiseaux sur les arbres.
à l’échelle des entreprises, l’approche linéaire physique peut aider à rattraper le déficit de “pragmatisme” qu’on reproche souvent aux “idéalistes” motivés par la transition et engager plus largement. Les baisses de réduction sont souvent vues comme des engagements moraux, mais comme on l’a vu, ce sont aussi et surtout des actions aux conséquences très matérielles, et elles le sont d’autant plus dans un monde où l’engagement n’est pas la norme. Des chiffres comme ceux calculés par Christoph Semken peuvent aider à rendre vos objectifs de tonnes carbone invisibles plus concrets et plus engageants et je veux bien croire qu’une direction RSE trouve plus de force de conviction à projeter des chiffres de réduction en nombre d’heures de vie prolongées qu’en micro-molécules invisibles soustraites à l’atmosphère.
à l’échelle nationale et internationale, certains acteurs ont une taille telle qu’ils sentiront eux-mêmes les bénéfices de leurs actions de réduction. Si les Européens parviennent à faire baisser les ~15% des émissions mondiales que représentent leurs émissions territoriales, ils s’évitent pour eux-mêmes 15% des conséquences les plus graves du réchauffement. Un gain de 15€ sur 100€ investis, ça peut sembler faible, sauf si ces 15€ nous coûtent en pratique 15000€ parce qu’il faut reconstruire Valence ou Mayotte. Et — incroyable ! — il se trouve que mon ancien camarade et économiste Adrien Bilal a justement vérifié cette hypothèse avec un vrai modèle, des tests et des chiffres dans un article tout récent. Selon lui et son co-auteur, un continent grand comme l’U.E. (ou les U.S.A.) aurait un intérêt direct à financer… plus de 80% de la transition, juste pour éviter de payer beaucoup plus cher le coût du réchauffement.
Et vous ?
Quelle expérience avez-vous de ces représentations linéaire / binaire ? Est-ce que vous allez mobiliser le contenu de cette newsletter pour agir et engager ? Qu’est-ce qui vous marque le plus dans tout ça ?
→ Écrivez-nous en commentaire pour nous raconter !
La suite de ce numéro ? Imaginons-la ensemble !
Ici l’histoire que j’ai racontée est celle du principe climatique physique – qui est donc linéaire et pas binaire – pas celle des mécanismes sociaux. On pourrait creuser la même question mais sous l’angle social dans un prochain numéro.
Vous vous demandez peut-être où figurent les “points de bascule climatiques” dans tout ça, et vous aimeriez avoir un point clair et factuel là-dessus.
Vous avez une autre super idée et ça n’a rien à voir avec tout ça ? Écrivez-nous !
La métaphore de la couette permet de comprendre l’effet de serre de façon imagée : L’atmosphère autour de la Terre forme comme une “couette gazeuse”. Dans cette couette se trouvent certaines molécules qui agissent comme des “plumes”.
Comme avec une vraie couette de lit, plus la couette atmosphérique contient de “plumes”, plus la Terre en-dessous a chaud.
La principale de ces molécules-plumes est le CO2. On en émet quand on brûle des matières riches en carbone (le bois, le pétrole ou le charbon par exemple). En brûlant, ce carbone C se désagrège et vient s’associer avec le dioxygène de l’air pour former plein de toutes petites molécules de CO2 qui s’éparpillent dans l’air.
On peut faire l’analogie avec les pièces d’une tour Jenga qu’on retire progressivement : à chaque tour on ne retire qu’une pièce, et pourtant les conséquences statistiques de cette pièce sont chaque fois plus lourdes.
Dans le cas du réchauffement, j’ajoute 1 tonne d’émissions en prenant un Paris-New York quel que soit le niveau du thermomètre mondial, mais cette tonne a des conséquences de plus en plus graves en termes de risques d’inondations, sécheresses, …
Moi qui pensais me chauffer au bois dans mon inser VTTt, ce qui est bien agréable le soir.... Ou sinon c'est le nucléaire avec ses déchets à plus long terme ! ( Ok, on peut choisir son distributeur + propre ou + éthique) MÊME si l'on est économe . Les pulls en synthétique qui tiennent bien chaud, c'est pas terrible.... Du plastique y en a partout ! Que proposes tu pour se chauffer ? Un peu de tout ? Peut-être la stratégie de la marmotte ou de l'ours..... Bisous et continue à nous orienter 😜
J'apprécie cette approche qui nous parle et qui décline nos efforts et nos engagements de manière chiffrée "physique". Merci pour cet angle choisi qui ne culpabilise pas mais incite de manière soft, "humaine" à faire ce qu'il faut.